LES TêTES COURONNéES ET LES PETITES CACHOTERIES SUR LEUR éTAT DE SANTé

Le 11 mars dernier, au milieu de la véritable cacophonie engendrée sur les réseaux par les mystères faits autour de la santé de Kate Middleton, un tweet rigolard – mais très bien vu – est devenu viral. « La princesse de Galles est introuvable, le prince suppléant est en exil et le roi soigne son cancer avec des herbes. Si on était au XIVe siècle, la France essaierait d’en profiter pour envahir », écrivait le responsable de la communication numérique de l’American Civil Liberties Union (ACLU) dans un post sur X liké par 282 000 personnes.

Depuis des millénaires, les têtes couronnées atteintes de maladies chroniques se trouvent dans une position délicate : montrer sa faiblesse revient à perdre son aura mystique. Au XIXe siècle, le journaliste britannique Walter Bagehot écrivait : « Notre royauté se doit par-dessus tout d’être révérée, si nous nous montrons trop curieux, nous ne pouvons plus la révérer. Son mystère la maintient en vie. La lumière du jour en aucun cas ne doit croiser sa magie. »

Le roi Charles III et Catherine, princesse de Galles, ont fait preuve de courage en se révélant atteints de cancers, et c’est peut-être le signal qu’une nouvelle ère de transparence médicale vient de s’ouvrir pour la famille royale britannique. Pourtant, depuis bien des siècles, les têtes couronnées ne pouvaient pas se déclarer simples mortels, pour une raison tout aussi simple : la survie de leurs pays dépendait de la leur.

La mort d’un souverain pouvait être si périlleuse que, dans certaines cultures, elle n’était même pas reconnue. Selon la revue African Affairs, « Le roi ne meurt jamais » était la devise du peuple Temne du nord de la Sierra Leone. Lorsqu’un roi était malade, un communiqué annonçait : « Le roi est malade ». S’il mourait, on le disait simplement « très malade ». Le corps était caché, un nouveau roi était élu et la mort du souverain précédent n’était reconnue qu’après le couronnement du nouveau monarque.

« La mort d’un roi pouvait être synonyme de catastrophe pour certains ou de salut pour d’autres, selon la personne qu’ils avaient soutenue et celle qui allait leur succéder », écrit l’historienne Suzie Edge dans Mortal Monarchs: 1000 Years of Royal Deaths. « Le nouveau monarque pouvait apporter avec lui la guerre et la faillite, ou bien la paix et la prospérité. Chaque fois qu’un monarque mourait, s’ensuivait une période d’incertitude et d’inquiétude. »

En d’autres termes, la longue maladie d’un souverain provoquait un grand malaise dans le royaume. Un courtisan cupide, un frère ou une sœur, voire l’enfant même du monarque, pouvait s’emparer du pouvoir. Comme le rappelle l’historienne et auteure Julia Fox dans Sister Queens, au XVIe siècle, le père, le mari et le fils – l’empereur Charles Quint – ont profité de la maladie mentale de la reine Jeanne 1re de Castille (et l’ont selon toute vraisemblance exagérée) pour la dépouiller de son pouvoir et gouverner en son nom.

Afin d’éviter ce genre d’épisode, les monarques ont souvent été contraints de feindre être en bonne santé quand la réalité était tout autre. En 1553, Édouard VI, roi d’Angleterre et d’Irlande âgé de 15 ans, se meurt lentement de la tuberculose. Ses serviteurs protestants dogmatiques, terrifiés à l’idée que les rumeurs persistantes sur l’état de santé du jeune souverain n’encouragent sa sœur catholique Marie ou sa sœur plus libérale Élisabeth à s’emparer du trône avant sa mort, tentent de mettre en scène son éclatante santé supposée. Comme le relate le biographe Chris Skidmore, tout cela va conduire à un spectaculaire échec :

« Pour rassurer les foules inquiètes qui se rassemblaient à Greenwich, Édouard fit sa dernière apparition, saluant prestement à la fenêtre le samedi 1er juillet. La vue de son corps maigre et décharné ne fit que confirmer le pire, ceux qui regardaient d’en bas furent horrifiés, le disant condamné et montré dans le seul but de faire taire la rumeur du peuple qui le disait déjà mort, afin que sa mort, lorsqu’elle surviendrait, puisse être plus facilement dissimulée. »

Louis XIV, le Roi-Soleil, monarque de droit divin, régnait sans partage sur la France. En 1686, le roi vieillissant, souffrant déjà de goutte chronique et autres maladies, développa une fistule anale douloureuse. Celle-ci lui fut retirée par une opération atrocement douloureuse, lors de laquelle il mit tout en œuvre pour faire bonne figure. On dit qu’il ne lâcha qu’un seul et euphémique « Mon Dieu ».

« Fait presque aussi extraordinaire que sa force de caractère sous le scalpel, Louis tint une réunion du conseil le soir même », écrit Antonia Fraser dans Love and Louis XIV. « Le lendemain matin, il se livra comme à l’accoutumée à son lever habituel pour la cour, même si la transpiration perlait visiblement sur son visage d’une blancheur cadavérique. »

Lorsqu’il mentionne l’affaire, c’est simplement pour en minimiser la gravité et les effets. « Les gens qui n’étaient pas là croient que ma maladie a été grave, affirme-t-il. Mais dès qu’ils me voient, ils se rendent compte que j’ai à peine souffert. »

La santé des monarques n’était pas la seule préoccupation nationale. Jusqu’au XXe siècle, les mariages entre familles royales étaient de puissants outils de diplomatie dynastique, et le fait de pouvoir marier de jeunes princesses et princes en bonne santé et fertiles pouvait faire ou défaire la fortune d’un pays. Les portraitistes royaux s’efforçaient de dissimuler les infirmités ou les maladies de leurs sujets, obligeant souvent les souverains à envoyer leurs propres émissaires pour confirmer eux-mêmes l’état de santé d’un candidat potentiel.

L’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche (la mère de Marie-Antoinette), après que la variole a défiguré sa plus belle fille et en a emporté une autre, offrait ses autres filles à Charles III d’Espagne en lui écrivant :

« Je vous accorde avec grand plaisir l’une de mes filles restantes pour combler la perte... J’en ai actuellement deux qui pourraient convenir, l’une est l’archiduchesse Amalia, dont on dit qu’elle a un joli visage et dont la santé devrait promettre une descendance nombreuse, et l’autre est l’archiduchesse Charlotte, également en très bonne santé et qui a un an et sept mois de moins que le roi de Naples. »

L’ironie, bien sûr, étant qu’avant notre ère médicale moderne, presque tout le monde souffrait d’une maladie chronique : dysenterie, hydropisie, tuberculose, syphilis, asthme ou autres affections moins graves qu’il serait aujourd’hui facilement possible de traiter. Le roi Henri VIII, qui souffrait d’une plaie chronique suintante à la jambe qui le rendait constamment irritable, était probablement atteint d’un diabète de type 2. La reine Anne de Grande-Bretagne souffrait très probablement d’un lupus, ainsi que de conjonctivite chronique qui, selon les commères, était le fruit d’une MST que son père, le roi Jacques II, avait transmis à sa mère.

Avec la révolution industrielle, les commérages royaux se sont répandus dans le public, qui est devenu obsédé par tout ce qui concerne les membres de la famille royale, y compris leur santé. En Grande-Bretagne, les circulaires quotidiennes de la Cour faisaient état des maladies royales les plus banales. « Nous avons le regret d’annoncer que Sa Majesté a subi une nouvelle attaque de goutte », rapporte un périodique britannique en 1837. « Et que la reine souffre d’un rhume. »

Mais en ce qui concerne les maladies chroniques majeures, subterfuges et secrets restaient la règle. Le roi George III de Grande-Bretagne, le célèbre « roi fou » du XVIIIe siècle, a beaucoup souffert de ce qui était probablement une maladie génétique, la porphyrie, qui provoquait des épisodes de douleurs atroces, des hallucinations et des délires (certains pensent que son ancêtre Marie, reine d’Écosse, aurait également souffert de cette maladie).

Les bulletins quotidiens publiés par les médecins concernant la santé du roi sont devenus un champ de mines politique, George, prince de Galles, se battant pour révéler le véritable état de santé de son père (et ainsi obtenir la régence), la reine Charlotte, épouse protectrice du roi, tentant d’atténuer la vérité, et ses médecins se trouvant entre les deux.

Selon Janice Hadlow, auteur de A Royal Experiment: The Private Life of King George III, les choses dégénèrent lorsque le médecin du roi, le docteur Richard Warren, refusa de souligner l’amélioration de l’état de santé du roi, conduisant à une confrontation avec la reine.

Lorsqu’on demanda à Warren d’expliquer pourquoi il ne signerait pas le bulletin contesté, il déclara que « si un homme était parfaitement sain d’esprit pendant 23 heures et dérangé la 24e », il le considérait de la même manière que « s’il n’avait pas d’intervalles lucides ». Le médecin ajouta, pour étayer son opinion, que le roi avait « beaucoup pleuré ». Ce à quoi la reine rétorqua : « Si c’est ça que vous appelez être dérangé, alors nous sommes tous fous ici. »

En effet, la maladie du monarque causait douleur et gêne à l’ensemble de la famille royale. Lorsque le roi George insista pour emmener sa famille en vacances à Weymouth, sa fille paniqua. « Oh, voyez le précipice au bord duquel nous nous trouvons. Ici, nous pouvons garder le secret... mais dans un lieu public où l’on vient étancher sa soif, ce serait impossible, et s’il devait s’exposer là, je suis fermement convaincue que nous en mourrions, ce que nous vivons maintenant est presque déjà plus que ce que nous pouvons supporter. »

La plus grande visibilité des têtes couronnées pour le grand public a conduit à quelques épisodes également malheureux. À l’époque victorienne, la très en vogue Alexandra de Danemark, princesse de Galles, souffrait d’une myriade de maladies et d’infirmités. Elle gérait leurs effets secondaires avec un certain panache : elle dissimulait par exemple une vilaine cicatrice au cou sous une sorte de collier de chien orné de bijoux, qui fit fureur. Atteinte de rhumatisme articulaire aigu, elle se retrouva avec une charmante claudication permanente : soudain, les jeunes élégantes se piquèrent de l’imiter. Pour imiter leur icône, les jeunes filles de la haute société achetaient des chaussures avec des talons de hauteur différente afin d’obtenir la même démarche qu’Alexandra.

Ce qui valut au Dundee Courier and Argus d’écrire dans ses pages, non sans un certain mépris : « On a fait beaucoup de choses remarquablement stupides pour imiter la royauté, mais ce geste, plus encore que de la bêtise, dénote d’une certaine cruauté. Même la légèreté de la mode devrait avoir ses limites. »

Au cours du XXe siècle, une maladie royale autrement plus problématique allait changer la face du monde à jamais. Comme l’écrit Robert K. Massie dans Nicholas and Alexandra : « La Russie impériale a trébuché sur un minuscule défaut dans le corps d’un petit garçon. Cachée aux yeux du public, voilée par la rumeur, véritable mal venu de l’intérieur, cette tragédie invisible allait changer l’histoire de la Russie et du monde. »

La naissance du tsarévitch Alexei Nikolaevich Romanov (également connu sous le nom d’Alexis), le 12 août 1904, fait le bonheur de ses parents, le tsar Nicolas II et l’impératrice Alexandra. Mais très vite, des saignements au nombril trahissent la terrible nouvelle : Alexis, l’unique fils du couple, est hémophile. Cette maladie court dans le sang royal européen, et son arrière-grand-mère, la reine Victoria en était elle-même déjà affectée. L’héritier du trône livre désormais un combat quotidien pour sa survie.

Déjà dans une situation précaire, et alors que le vent révolutionnaire commence à se lever, Nicolas et Alexandra gardent le secret sur la maladie débilitante et douloureuse de leur fils. Même le tuteur de leurs quatre filles, Pierre Gilliard, a longtemps ignoré l’état exact du garçonnet. « Chaque fois qu’il disparaissait, le palais était en proie à la plus grande dépression. L’humeur de mes élèves était à la mélancolie, qu’elles s’efforçaient en vain de dissimuler. Lorsque je leur en demandais la cause, elles répondaient évasivement : “Alexis Nicolaïevitch ne se sent pas bien.” Je savais qu’il souffrait d’une maladie... mais personne ne m’en révélait la nature. »

L’opinion publique en sait encore moins et les rumeurs vont bon train : le petit est épileptique, tuberculeux, estropié par une bombe. Sa mère, Alexandra, également malade, est dévastée par les horribles souffrances de son fils. Elle se renferme sur elle-même, maussade, et finit par tomber sous l’emprise du mystique Raspoutine, qu’elle croit capable de sauver son fils.

Le retrait de la vie publique du couple royal et l’omniprésence de Raspoutine pour soulager les souffrances d’Alexis vont générer toutes sortes de fantasmes dans l’esprit du peuple russe, ce précipiteront probablement l’avènement de la révolution russe et l’assassinat de la famille royale en 1917 – un exemple à méditer pour les futures personnalités publiques.

« Révéler l’état de santé d’Alexis aurait inévitablement exercé de nouvelles pressions sur le tsar et la monarchie, note Robert K. Massie. Mais s’emmurer dans le secret était encore pire. Cela a rendu la famille vulnérable à toutes les rumeurs malveillantes. L’impératrice – et, à travers elle, le tsar et le trône – a perdu le respect de la nation. La condition du tsarévitch n’ayant jamais été dévoilée, les Russes n’ont jamais compris le pouvoir que Raspoutine exerçait sur l’impératrice. »

Même en Grande-Bretagne, où les monarques ont longtemps été davantage des figures de proue que des souverains absolus, le corps d’un roi n’était jamais totalement à lui. Le 20 janvier 1936, le roi George V se meurt d’une bronchite chronique. Juste avant minuit, alors qu’il est allongé dans son lit et tente de respirer, son médecin, Lord Bertrand Dawson, lui injecte de la morphine et de la cocaïne pour mettre paisiblement fin à ses jours. Mais Lord Dawson donnait également une autre raison pour avoir euthanasié le roi : l’annonce de sa mort devait être publiée « dans les journaux du matin plutôt que dans ceux du soir, moins appropriés ».

Le fils de George V, George VI, a connu une fin du même ordre. Grand fumeur comme son père, il est atteint de la maladie de Buerger, qui affecte ses jambes et rend pénibles la marche et le travail à son bureau. Mais ni lui ni le public n’ont jamais été informés qu’on lui avait diagnostiqué un cancer du poumon. Lorsqu’il est opéré pour qu’on lui retire le poumon gauche en 1951, on lui affirme que c’est en raison de « changements structurels ». Lorsqu’il meurt d’une thrombose coronarienne en 1952, le public est sous le choc : on lui avait assuré que le souverain était en plein rétablissement.

La veuve du roi, Elizabeth (la Reine Mère) a été atteinte d’un cancer dans les années 1960 et 1980, un fait inconnu du public jusqu’à sa mort. Elle avait pris la parole sur son état de santé lors d’un événement survenu en 1982, après avoir dû être conduite à l’hôpital après s’être étouffée avec une arête de poisson. Dans la déclaration qui avait suivie, elle en plaisantait : « C’est juste le saumon qui voulait récupérer son dos. »

La reine Elizabeth II n’était pas non plus du genre à révéler publiquement ses problèmes de santé, et le palais n’a jamais confirmé qu’elle souffrait d’un cancer des os au moment de sa mort, comme l’affirme le biographe Gyles Brandreth. D’autres têtes couronnées dans le monde ont récemment fait preuve de plus de transparence au sujet de leurs problèmes de santé. La princesse héritière Mette-Marit de Norvège a révélé qu’elle souffrait de fibrose pulmonaire chronique. Sarah, duchesse d’York, a parlé ouvertement de son combat contre un cancer du sein et un cancer de la peau. La presse a fait état d’une déclaration de l’Agence de la maison impériale selon laquelle l’impératrice Masako du Japon souffre de « troubles de l’adaptation », une maladie chronique engendrée par la pression et le stress de son nouveau statut. Par voie de communiqué, elle a déclaré : « En pensant aux jours qui viennent, je ne sais pas dans quelle mesure je pourrai me mettre au service de la population. Mais je ferai mon possible pour contribuer au bonheur de tous. »

Il n’est peut-être pas si surprenant que les membres des familles royales modernes souhaitent garder leurs problèmes de santé pour eux. Si le destin de leur pays n’est pas en jeu, leur bien-être personnel l’est. Après tout, même si la propagande tente de nous affirmer le contraire depuis des siècles, les têtes couronnées ne sont jamais que des êtres humains comme nous.

Initialement publié par Vanity Fair US

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