«UN PSY QUI N'A PAS VéCU DE MOMENTS DIFFICILES PEUT-IL êTRE UN BON PSY?»

Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.

Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.

Chère Mardi Noir,

Je voulais savoir si un psy qui n'a pas vécu de moments difficiles, de traumatismes, pouvait être un bon psy étant donné qu'il n'est pas passé par l'état de détresse que peut vivre son patient.

Merci d'avoir pris le temps de lire mon message,

Cordialement,

Florence

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Chère Florence,

Vous m'envoyez ici une question fondamentale. Je pourrais la traduire ainsi: qu'est-ce qui fonde le désir d'une personne à devenir psy? Et est-ce que ce désir est forcément relié à une histoire tragique?

Cela fait écho à une question qui traverse notre époque actuelle: peut-on entendre, écouter, analyser, comprendre des personnes concernées par une situation sans être en rapport soi-même avec ladite situation? Avec ce postulat, seules des personnes violées pourraient écouter les victimes de viol, et seules des personnes vivant le racisme seraient en capacité d'entendre la détresse des victimes de ce même racisme. C'est une vraie question. Je crois pour autant qu'il ne faut pas confondre ce qui fait communauté de souffrances, de couleurs, de sexe, de genre et qui peut avoir des vertus thérapeutiques –dans le sens où se retrouver entre personnes concernées par des difficultés similaires peut soigner– avec l'expérience psychothérapeutique.

Pourtant, je ne vais pas être si catégorique. Il y a bien quelque chose à avoir en commun avec ses patients pour être un psy digne de ce nom. C'est d'avoir fait l'expérience de la cure. Je sais bien que ce n'est pas partagé par tous les courants psychologiques. Je parle ici principalement du courant psychanalytique, et même si Lacan nous dit que «le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même», c'est à mon sens une façon de dire que le psychanalyste ne s'autorise qu'à avoir éprouvé et analysé lui-même ce qui a traversé sa propre psychanalyse. C'est le principal appui sur lequel les psys peuvent se soutenir: d'être passé par cette épreuve de l'analyse, du langage, du décalage.

Partager le même genre d'histoire qu'un patient peut même s'avérer, au contraire, illusoire. Cela risque de nous ramener trop à nous et de nous aveugler sur le suivi. En psychanalyse, chaque sujet est irréductible à un autre sujet, il ne s'agit pas de confondre notre souffrance avec celle du patient.

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Votre question touche à l'empathie, cette capacité à se mettre à la place de l'autre, à ressentir sa douleur. C'est précisément ce que l'on se garde de faire quand on est psy. Nous ne sommes pas à la place de nos patients. Ne pas être empathique ne signifie nullement être malveillant. Un psy ne manque pas de bienveillance ou d'accueil à l'égard de certains patients et s'il joue de l'empathie, il y repense ensuite, pour savoir s'il ne s'est pas laissé happer par sa propre histoire.

Au fond, peu importe que le psy ait vécu des tragédies, des traumatismes, des moments difficiles (déjà, pour ces derniers: qui n'en vit pas?), ce qui compte c'est de les avoir mis au travail en présence d'un psy. Parce que cette expérience est unique. Toute la théorie du monde ne pourra résumer ou qualifier convenablement le transfert, à savoir le fait de confier notre histoire à un sujet supposé en savoir plus que nous.

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