BIENNALE DE VENISE : L’AFRIQUE TRACE SON SILLON

Venise fait rêver. Depuis la fin du XIXe siècle, les amoureux de l'art se donnent rendez-vous dans la cité des doges pour la biennale de l'art. Cette 60e édition, qui se déroule du 20 avril au 24 novembre, bouscule les lignes. Son titre « Stranieri Ovunque (Étrangers partout) est « une célébration de l'étranger, du lointain, de l'outsider, du queer et de l'indigène », explique le commissaire brésilien Adriano Pedrosa, premier curateur latino-américain. Elle a le mérite de renverser le regard centré sur l'occident pour l'ouvrir aux autres régions du monde et de questionner l'identité, le social et la norme. Avant lui, en 2015, un autre commissaire aujourd'hui décédé, Okwui Enwezor, originaire du Nigeria, avait insufflé un souffle nouveau avec « Tous les futurs du monde » et la présence de 35 artistes africains sur la cité lagunaire. Cette 60e édition est d'une ampleur inédite. Les chiffres donnent le tournis : 88 pays participants, 30 événements en parallèle et 331 artistes exposés pendant sept mois.

Et l'Afrique n'est pas en reste. Pour la première fois, le Bénin, l'Éthiopie et la Tanzanie participent, tout comme le Sénégal. Après une longue absence, le Nigeria revient en force. Le continent compte treize pavillons. On retrouve aussi l'Afrique du Sud, la Côte d'Ivoire, le Cameroun, l'Égypte, l'Ouganda, la République démocratique du Congo, les Seychelles et le Zimbabwe.

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Baptême du feu réussi pour le Bénin

Pour sa première apparition, le Bénin marque un beau coup. Avec un pavillon bien organisé par le critique d'art nigérian, Azu Nwagbogu qui a choisi quatre artistes de différentes générations. Romuald Hazoumé, Chloé Quenum, Moufouli Bello et Ishola Akpo ont eu pour mission d'explorer le féminisme africain à travers la figure de l'Amazone, la traite négrière et la spiritualité Vodun.

En choisissant d'exposer à Venise, le ministre de la Culture, Jean-Michel Abimbola, a voulu montrer l'importance de l'art pour son pays. Il poursuit une politique de rayonnement à l'international après la grande exposition « Révélations ! Art contemporain du Bénin » montée à Cotonou, pour célébrer l'héritage historique et la restitution d'objets culturels pillés par la France en 1894. La partie art contemporain voyage depuis, d'abord exposée au Maroc en 2023, puis en Martinique en début d'année, elle devrait passer par Paris avant les États-Unis.

Sur la lagune vénitienne, la délégation béninoise au complet a tenu sa réception au Peggy Guggenheim Collection avant de procéder à l'inauguration du Pavillon national à l'Arsenal. Le Bénin affiche ainsi son ambition. Le président Patrice Talon, réélu en 2021, a fait de la promotion culturelle le pilier de sa politique avec pour projet d'ériger quatre musées nationaux, dont le musée d'Art contemporain qui devrait ouvrir l'an prochain.

« Les pavillons les plus remarquables sont ceux qui ont voulu montrer de quoi ils étaient capables, notamment ceux qui ont lancé des projets de construction de musées, comme le Bénin et le Nigeria », observe Christophe Person, directeur de la galerie du même nom et spécialiste de l'art contemporain africain. « Le pavillon du Nigeria est très réussi, avec un bel espace et une sélection très qualitative, digne d'un musée. La jeune commissaire Aindrea Emelife a fait preuve d'ouverture et les ?uvres exposées, comme l'installation de Ndidi Dike, qui aligne des centaines de matraques, symbolisant la violence de la colonisation mais aussi la violence policière, est particulièrement forte. Autre ?uvre puissante, celle de Yinka Shonibare, qui propose une reconstitution en terre cuite d'objets pillés », s'enthousiasme Christophe Person, qui salue aussi l'idée de proposer une grande maquette du futur musée qui doit ouvrir à Bénin City, d'ici à la fin de l'année. Sous le titre « Nigeria Imaginary », la commissaire a réuni un groupe de huit artistes intergénérationnels dont la mission est de puiser dans l'histoire du pays tout en se tournant vers l'avenir.

La Côte d'Ivoire est aussi venue avec une délégation officielle autour de la ministre de la Culture, Françoise Remarck, pour inaugurer son pavillon. La commissaire Illa Ginette Donwahi et le cocommissaire Simon Njami ont fait appel aux artistes Jems Koko Bi, François Xavier Gbré, Sadikou Oukpedjo, Franck Abd-Bakar Fanny et Marie-Claire Messouma Manlanbien. Comme le Bénin, la Côte d'Ivoire insiste sur son engagement financier personnel pour assurer sa présence à Venise.

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Montée en gamme et diversité au programme

D'autres pavillons africains ont fait le choix de présenter un seul artiste, comme le Sénégal, qui participe pour la première fois, avec l'appui de la galerie Templon et expose le peintre Alioune Diagne. L'Éthiopie, elle, aussi s'appuie sur la puissance de la galerie Saatchi Yates, qui permet au pays d'exposer un jeune peintre, Tesfaye Urgessa. Les peintures figuratives de Tesfaye vont du portrait intimiste à de grandes toiles imposantes, foisonnantes de personnages, de parties de corps entremêlées traduisant une intense activité. L'artiste vivant en Allemagne s'inspire de son travail de traducteur auprès des migrants et de leurs histoires.

Au pavillon égyptien, Wael Shawky, à travers une comédie musicale filmée, retrace avec brio la révolution nationaliste de 1879, étouffée trois ans plus tard sous le bombardement d'Alexandrie par les troupes britanniques. Un écho au thème de la biennale, « Étrangers partout » qui nous rappelle que, dans le cas de l'Égypte et de nombreux pays du Sud, les étrangers sont des colonisateurs et non des immigrants. Parmi les pavillons souvent cité en exemple, celui de la Grande-Bretagne avec l'artiste britannico-ghanéen John Akomfrah avec son installation vidéo intitulée « Écouter toute la nuit la pluie », qui invite les visiteurs à se questionner sur le monde qui les entoure.

Outre les 88 pavillons reflets de la politique d'un pays, le visiteur se doit de découvrir l'exposition principale qui se divise en une partie contemporaine avec des artistes queers, outsiders et indigènes et une autre plus historique, composée d'?uvres du XXe siècle provenant d'Amérique latine, d'Afrique, d'Asie et du monde arabe. Elle permet, par exemple, de montrer une belle sélection de l'École de Casablanca. De quoi rattraper un peu l'absence du Maroc, qui devait avoir son propre pavillon et dont la venue a finalement été annulée peu de temps avant l'ouverture de la Biennale.

Dans les rendez-vous manqués, la Biennale de Dakar, qui devait se tenir à partir du 16 mai, risque d'être reportée. L'art demande un engagement financier bien maîtrisé et un engagement politique qui fait parfois défaut.

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