EN CHINE, PYJAMA, BOULOT, DODO POUR LES FATIGUéS DES HEURES SUPPLéMENTAIRES

Une partie de la jeunesse chinoise refuse de rentrer dans la course aux promotions et entend profiter d’une vie simple sans sacrifier sa vie au travail. Cette tendance se traduit notamment par ce qu’on pourrait qualifier de tenue décontractée au boulot, certains allant jusqu’à se rendre au bureau en pyjama.

De notre correspondant à Pékin avec Chi Xiangyuan du bureau de RFI à Pékin

On connaissait le « Casual Friday », le « vendredi décontracté », comme disent les Anglais. Sauf que là, c'est tous les jours, et ça donne même lieu à un concours de selfie sur les réseaux sociaux. Notamment sur Xiaohongshu, l’Instagram chinois, où l’on se prend en photo au boulot, dans des tenues décontractées, voire négligées. Fini les tailleurs et costumes cravates : avec leur veste de pyjama enfilée sur un sweat capuche, certains ont l’air de sortir du lit.

Style « mendiant chic »

Des hauts, mais aussi des bas de pyjamas associés à une veste de survêtement. Le tout est souvent dépareillé. Ce n’est pas forcément de bon goût – le combo chaussettes orange et sandales fait fureur par exemple –, mais le style « mendiant chic » donne lieu à un véritable défilé de mode sur les réseaux sociaux. Le mois dernier, une internaute répondant au pseudo « Kendou S », s’est ainsi photographiée sur Douyin – la version chinoise de TikTok –, en robe et pull marron, sur un bas de pyjama avec des mitaines trouées.

Le hashtag« tenue de travail » s’est aussitôt emballé. L’idée est de s’amuser bien sûr ; de se moquer aussi un peu, ou en tout cas de prendre de la distance vis-à-vis de jobs parfois mal payés, parfois ennuyeux, parfois les deux. « Je ne pense pas que cela mérite de dépenser de l’argent pour s’habiller pour le travail, après tout je suis assise dans un coin toute la journée », raconte au New York Times une designeuse de Wuhan dans le centre du pays. Ces tenues sont également l’occasion de s’affirmer, de dire tout simplement : « Je fais ce que je veux, quand je veux », ou encore « ma vie ne s’arrête pas au travail ».

« Tang Ping » et « no future »

Les tenues « je m’en fous » au boulot, ne font pas forcément plaisir à l’employeur. Certains d’entre eux craignent que cela ne nuisent à l’image de l’entreprise. Il y a aussi parfois des remarques des voisins de bureau. Mais peu importe, ce mouvement est aussi une forme de « manifestation silencieuse » pour ceux qui ont un emploi stable. Une tendance qui s’inscrit dans un mouvement plus général. Il y avait le« Tang Ping » qui en chinois signifie « faire la planche » ou « s’allonger à plat » pour celles et ceux qui préfèrent attendre de voir, plutôt que de s’engager dans un travail mal rémunéré et/ou harassant.

Il y a eu aussi le « Bailan », une expression qui signifie « laisser pourrir » ou « laisser tomber », pour celles et ceux qui recherchent un emploi stable, mais refusent de rentrer dans une compétition ou dans l’illusion d’une carrière prometteuse vu le ralentissement de l’économie chinoise et le tarissement des emplois intéressants, voir des emplois tout court. Et il y a donc aujourd’hui la tenue décontractée au travail qui manifeste, sinon un « no future », du moins une contre-culture en opposition avec la vision des anciens qui se sont lancés à corps perdu dans les heures supplémentaires et la course à l’avancement.

 

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Refus du « 996 »

Rien de politique ici, la plupart de ces jeunes et moins jeunes demandent juste à vivre une vie simple, sans pression, en essayant de trouver un minimum de sens à l’existence. « Le Tang Ping n’est absolument pas contre le parti, mais contre les conditions capitalistes, affirme Jean-Louis Rocca. Un ensemble de gens ne supporte plus ou n’arrive plus à jouer le jeu de la compétition sur lequel étaient basées les relations au travail. Beaucoup de Chinois se retirent de cette logique-là, pour se retrouver dans des activités moins compétitives, ou reviennent chez leurs parents à la campagne. Ils refusent de se marier et ils ne veulent pas d’enfants », dit encore ce professeur au Centre de recherches internationales de Sciences Po (Ceri).

Ce mouvement concerne essentiellement la classe moyenne, mais il inquiète aussi les autorités. Des études sur le sujet sont publiées au sein des universités chinoises, parfois critiques avec ceux qui ne voient dans la jeunesse que des fainéants. « Le travail était devenu complètement fou, poursuit le sociologue au Ceri, les gens travaillaient en « 996 » (9h à 21h, 6 jours sur 7), avec des rapports hiérarchiques extrêmement stricts. Et il y a aujourd’hui une frange de la société qui refuse ou en tout cas conteste ce qui a fait le cœur de l’économie chinoise avant le Covid : une société de la compétition, du toujours plus et de la consommation. » 

« Mouvement du 3.12 »

Le ralentissement de l’économie donne des ailes à ce mouvement d’émancipation. Les vidéos diffusées sur X (censuré en Chine) donnent l’impression d’une Chine qui craque de partout, avec des manifestations devant les unités de travail, souvent pour des histoires de salaires ou d’heures non payées. En réalité, ces manifestations ont toujours existé, mais elles étaient auparavant effacées par les censeurs. La nouveauté, c'est que les cols blancs sont aussi concernés. Le 12 mars dernier, une avalanche des plaintes sur tableau Excel postées par des employés des agences de marketing et de publicité sur la plateforme Tencent, est venue dénoncer les conditions de travail dans des milliers d’entreprises de la côte est.

Le « mouvement du 3.12 » a ensuite gagné d’autres secteurs : les jeux en ligne, la high tech, le big datas, les agences d’influenceurs. « En voyant apparaître ces doléances en ligne, de nombreux dirigeants du secteur ont demandé à leur RH de tenter de supprimer ces tableaux, ce qui a entrainé une escalade dans les conflits, raconte Monsieur Wang joint par RFI. Pour ce patron d’une société de l’évènementiel, « il ne faut pas s’enfouir la tête dans le sable, mais au contraire profiter de l’occasion pour affronter ce qui ne va pas, alors que de nombreuses agences ont fermé leurs portes ces dernières années et que les budgets sont en baisse ».

Cahiers de doléances 2.0

Récemment, un « tableau de statistiques salariales pour diverses industries du groupe du génie civil » est apparu en ligne, relève le « Professeur Li » dans un tweet. Le document recense les avantages sociaux, les niveaux de salaire, les plannings des principales entreprises de construction à travers le pays. « Beaucoup de ces entreprises ont des arriérés de salaires et exigent souvent de leurs employés qu’ils effectuent des heures supplémentaires non payées », souligne ce veilleur des réseaux chinois, en évoquant le cas d’une entreprise de Canton travaillant pour les chemins de fer chinois qui a réglé la paye des ouvriers avec trois mois de retard.

Ce qui est aussi le cas visiblement pour certains employés de bureau. « J’ai été surpris, car en dehors des commérages, la plupart des commentaires étaient remplis d’un profond ressentiment, constate monsieur Ma. C’est probablement lié au contexte de ralentissement général et à un turn over élevé qui augmente les plaintes », insiste ce directeur d’une agence de pub. Évidemment, la censure veille au grain. « Les enfants de la classe moyenne n’ont pas d’avenir », un article très populaire sur les réseaux a été effacé, notait il y a deux semaines Radio Free Asia (RFA). Ces cahiers de doléances 2.0 du mouvement du 12 mars et des jours qui ont suivi, ont disparu aussi vite qu’ils sont apparus, supprimés ou bloqués, lit-on pour « violations des directives de la plateforme. »

 

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